Une nouvelle évolutionLa théorie de l’évolution de Charles Darwin nous enseigne concernant les mutations génétiques dans un processus de réplication imparfait que : "Dans un environnement donné, ces mutations peuvent être positives ou négatives" [1] dans le schéma évolutif, ainsi les caractéristiques génétiques les plus adaptées ou non à la survie vont déterminer l'évolution d'une espèce. Ainsi : "Les espèces évoluent simplement pour être de plus en plus adaptées à leur milieu naturel (dans le cas des girafes : un milieu avec des feuilles d’arbres très en hauteur)." [1]. L’évolution technologique et les progrès en génétique nous font entrer dans une nouvelle étape de notre évolution qui est celle de notre propre capacité à inférer sur l'évolution naturelle : "Ainsi, plutôt que d’introduire des mutations au hasard et de « voir ce que ça donne » (comme le fait la nature depuis des millions d’années), il devient possible d’orienter précisément l’évolution de notre ADN." [1]. Le transhumanisme est la concrétisation de ce processus d'automanipulation de notre propre développement. Alors que l’évolution darwinienne nous enseigne que seuls les plus adaptés à un environnement donné survivent dans un processus d'évolution "cruelle" et lent basé sur la selection naturelle, l'être humain a réussi à sortir de ce mécanisme sélectif. Les biotechnologies vont ainsi nous permettre d'entrer dans une nouvelle phase de notre évolution : "Une évolution consciente, voulue, et beaucoup plus rapide que l’évolution darwinienne, même s’il restera nécessaire de prendre le temps de vérifier la pertinence de nos choix." [1]. La biotechnologie, en plein essor, nous promet des réalisations que l'on n'ose à peine imaginer en matière de médecine tel que les modifications et corrections génétiques, la suppression de maladie, la création d'organes, etc. Mais nous devront être d'une grande prudence car les réalisations touchent l'essence même du vivant par la manipulation génétique. Car, comme nous le rappelle Antoine Casgrain et Karine Peschard : "les scientifiques sont encore loin d’avoir compris les perturbations causées par ces procédés." [2].La thérapie génique semble être la panacée universelle qui nous permettra de tout résoudre, les problèmes médicaux voir même les déviances sociales car : "tous les états de notre corps seraient explicables, et donc réglables, par notre patrimoine génétique." [2]. Ce mythe qui entoure la thérapie génique, qui la fait passer pour la solution à tous les problèmes, fait qu'elle est particulièrement plébiscitée dans les médias et par nos gouvernants, ainsi "la recherche en prédiction génétique domine nettement sur celle de la prévention socioéconomique." [2]. Et les problèmes de société, d'environnement, de non-accès aux ressources et aux soins de santé pour des millions d'êtres humains font dire à Antoine Casgrain et Karine Peschard que : "Si ces problèmes de société ne trouvent pas de solutions, les nouvelles technologies, qui participent au système de pouvoir actuel et sont utilisées par lui, ne feront qu’accentuer l’efficacité des processus qui créent l’inégalité." [2].
Ainsi pour Agathe Martin : "En concevant la société comme un dispositif mi-vivant mi-artificiel composée d'hommes et de machines, la cybernétique a ouvert la voie à une nouvelle vision du réel : la société comme dispositif socio-technique et à son « étrange mélange entre nature et société »" [3].
Et d'ajouter : "Et c'est au mythe d'une rationalité cybernétique dirigeant nos sociétés auquel nous voulons croire aujourd'hui en nous référant systématiquement à la science pour savoir et décider, à la technique pour agir et transformer. En recherchant perpétuellement l'équilibre – l'homéostasie – donc en recherchant à éliminer constamment les dangers, les risques, nous nous rapprochons du modèle d'analyse de la société qui sous-tendait les écrits de N. Wiener. En oubliant les idéologies pour le pragmatisme de situation, nous touchons du doigt la dystopie wienerienne." [3]. Saint-Simon prédisait que : L’administration des choses remplacera le gouvernement des hommes.
La gouvernance, avec la cybernétique, est entrée dans un nouveau modèle de rapports sociaux basé sur les réseaux et la circulation informationnelle, ainsi : "Avec l’apparition de la cybernétique, la gouvernance va se donner les outils conceptuels qui lui permettront de nier la subjectivité humaine au profit d’une conception purement informationnelle de l’existence." [4].
Le pouvoir a changé en passant d'un système vertical à une organisation plus horizontale, et les chiffres deviennent les buts de l'action politique qui n'est plus concertation mais rétroaction, ainsi : " le concept de gouvenance porte à considérer le chiffre non comme un cadre, mais comme un but de l’action, ou plus exactement, comme un moteur de la réaction puisque chaque acteur privé ou public est censé, non plus agir, mais rétroagir aux signaux chiffrés qui lui parviennent afin d’améliorer sa performance" [4]. Dans une économie de marché les individus doivent, pour lutter contre les déséquilibres du marché, s'informer, car en effet : "Parce que les marchés sont en déséquilibre perpétuel, les individus doivent constamment adapter leurs actions en fonction des flux d’informations fournies par le marché afin de créer un équilibre temporaire." [4]. Les règles du néolibéralisme ne sont plus que les acteurs sociaux orientent leurs actions sur une base raisonnée, comme dans l'idéal de la modernité, mais sur des critères d'efficience et de performance. Ainsi, selon Franck Juguet : "La raison, en tant que métarécit, n’est plus le critère transcendantal qui oriente la pratique des acteurs sociaux ; dans le néolibéralisme, ce sont les règles immanentes de l’efficience technique qui orientent la pratique des acteurs." [4].L'idéal du Bien commun laisse la place aux règles du marché et c'est ainsi que : "le politique se subsume dans l’économique à travers le processus de gouvernance" [4]. Avec la cybernétique apparait une nouvelle conception de l'humain et de la société qui pour Franck Juguet est : "en rupture avec l’héritage humaniste de la modernité." [5].Ainsi : "La cybernétique a pour ambition de rendre le monde plus rationnel par le contrôle et la gestion informationnels. Un monde peuplé de créatures hybrides, les cyborgs étant censés faire reculer chaque jour un peu plus les limites imposées par notre nature." [5]. Ce monde dans lequel l'efficacité vient remplacer la légitimité, la gestion remplacer le politique, voit son mode de régulation décisionnel basculer du politico-institutionnel vers l'informationnel-opérationnel. Alors que les humanistes concevaient l’homme comme un sujet historiquement construit capable d’agir politiquement sur le monde, la cybernétique le conçoit comme un flux d'information sur lequel appliquer des boucles de rétroaction.
[1] Alexandre (porte-parole et vice-président de l'Association Française Transhumaniste), "Évolution naturelle ou évolution technologique ?", Association Française Transhumaniste - Technoprog, 5/05/2016, https://transhumanistes.com/evolution-naturelle-ou-evolution-technologique/ [2] Antoine Casgrain, Karine Peschard, "Les biotechnologies au service de quelle société ?", Revue À bâbord!, No 14 - avril / mai 2006, Dossier : Technologies du vivant, https://www.ababord.org/Les-biotechnologies-au-service-de [3] Agathe Martin, "LE MYTHE CYBERNÉTIQUE : AUX ORIGINES DE LA SOCIÉTÉ DU RISQUE", Master de recherche en sciences de l'information et de la communication (2014 – Université Montpellier 3 – Laboratoire LERASS CERIC), http://www.analisiqualitativa.com/magma/1302/articolo_10.htm [4] Franck Juguet, "Cybernétique et gouvernance : la restructuration néolibérale des rapports sociaux", Hypothèses, OpenEdition, 28/08/2018, https://cybernetique.hypotheses.org/357 [5] Franck Juguet, "Le projet cybernétique : une dimension de la postmodernité", Hypothèses, OpenEdition, 01/05/2018, https://cybernetique.hypotheses.org/18
Capital techniqueLe cyber-espace, Internet, le Web, les réseaux sociaux, les smartphones, les objets connectés, et toutes ces évolutions technologiques qui font notre quotidien et l'univers dans lequel nous évoluons, nécessitent des connaissances minimum en informatique et en technologie de l'information et de la communication.
Pierre Bourdieu définit trois formes de capitaux distincts : le capital économique (argent, patrimoine, etc), culturel (culture générale, pratiques culturelles, etc) et social (réseaux social, familial, etc)..
Hugo Benoist, de l'Association de l’Ecole de Guerre Economique, nous propose une définition et une analyse de la notion de capital technique dans la continuité des concepts développés par Pierre Bourdieu.
En fonction des capitaux dont dispose l'individu, il aura des comportements sociaux distincts et évoluera dans des groupes sociaux différents. Ainsi, les individus qui disposent de capital culturel et économique fort préfèreront aller au théâtre et seront considérés comme de la classe supérieure alors que ceux ayant ces mêmes capitaux en moindre importance auront des activités perçue comme moins valorisant.
Au delà du capital culturel, qui englobe l'ensemble de ses ressources culturelles et donc une forme de culture technique qu'est de savoir utiliser un ordinateur ou un smartphone, Hugo Benoist propose une définition basé sur l'analyse de l'évolution du comportement d'apprentissage nécessaire à l'utilisation de l'outil informatique.
En effet, au début de l'informatique, les ordinateurs étaient pilotés avec des lignes de commandes et non des interfaces utilisateurs comme actuellement.
Il n'etait dès lors pas possible pour l'utilisateur de ne pas lire et étudier le manuel d'utilisation. L'utilisateur devait comprendre comment fonctionnait la machine pour l'utiliser. Ainsi : "le contrôle par l'utilisateur sur l'usage de la machine était fort, car il agissait directement sur le système via des commandes." [1].
Avec le développement des interfaces utilisateurs et autres plug&play, l'odinateur s'est "démocratisé" du fait de la moindre nécessité d'en connaitre les rouages pour pouvoir l'utiliser. Ainsi : "Cela traduit donc une distinction entre l'utilisateur éclairé, qui saura créer ses programmes et avoir un accès plus direct à son système (et donc mieux le contrôler) et l'utilisateur lambda qui ne saura qu'appuyer sur des boutons qui agiront à sa place." [1].
Cette distinction entre les utilisateurs éclairés et les utilisateurs lambda va, selon Hugo Benoist, aller en s'accentuant du fait de la simplification des systèmes et de leur cloisonnement. Les applications pour smarphone sont un bon exemple de cette simplification opaque.
Ainsi Hugo Benoist propose comme définition de la notion de capital technique : "l'ensemble des ressources techniques dont dispose l'individu dans l'usage des NTIC dans la société de l'information. C'est ce qui traduit sa capacité à agir, contrôler et diffuser l'information." [1].
Le capital technique est défini comme la capacité de contrôle qu'a l'individu sur les NTIC. Ainsi se sont développées des cyber-élites (ingénieurs système, informaticien, programmeur autodidacte, hacker, etc) qui font le lien entre la mise à disposition de l'information et les utilisateurs lambda.
Alors que les premiers utilisateurs de l'âge de l'informatique avaient un capital technique plus élevé pour pouvoir programmer leur ordinateur eux-mêmes, les générations suivantes qui bénéficient d'interfaces graphiques ou tactiles se retrouvent en position de ratrappage à devoir réapprendre à coder.
[1] Hugo BENOIST, "Les NTIC au service du contrôle des masses", Association de l’Ecole de Guerre Economique, 2015, https://www.ege.fr/download/NTIC_etude_EGE_2015.pdf
Les oubliésDepuis le début de l'âge de l'informatique, les femmes se sont montrées peu présente dans la discipline du numérique. L'informatique est un univers masculin malgré les efforts déployés au travers des formations en informatique proposées depuis quelques années s'adressant à tous et plus uniquement à l'univers cloisonné des cyber-élites. Mais l'inégalité devant les outils numériques est aussi une inégalité de levier de pouvoir et de profit, pas uniquement une inégalité de connaissance en informatique. Alors que l'informatique et les outils du numérique sont omniprésents dans notre vie quotidienne, ceux qui les créent et les développent façonnent notre devenir numérique en fonction des particularités professionnelles du monde de l'informatique. Car en effet : "Comme l’a montré depuis le début des années 1980 la sociologie des sciences et des techniques, les objets techniques ne sont pas neutres mais sont au contraire chargés des présupposés sociaux de celles et ceux qui les conçoivent (...)." [1]. Ainsi selon Isabelle Collet, il est dès lors préoccupant de voir que l’univers numérique est prégné d'inégalités structurelles de genre, et que la faible représentation des femmes "contribue à les perpétuer en permettant la diffusion d’outils massivement utilisés par tous et toutes mais conçus presque exclusivement par des hommes." [1]. Cette inégalité de genre se traduit dans les participations aux formations académiques qui ne compte que 12% de femmes inscrites en ingénierie informatique en France. Et cette réalité se remarque aussi dans le monde professionnel où seulement 15% des fonctions techniques sont occupées par des femmes [1]. Cette même proportion de 11% à 12% se retrouve dans les secteurs de pointe comme l'intelligence artificielle et la cybersécurité [1]. Ainsi, selon Isabelle Collet : "La sous-représentation des femmes dans la sphère informatique va de pair avec la prégnance de représentations genrées qui leur sont fortement défavorables dans ce domaine.(...) Les savoirs informatiques participent en effet aujourd’hui de l’ensemble des compétences caractéristiques de la masculinité hégémonique et, à ce titre, peuvent difficilement être symboliquement associés aux femmes." [1]. La femme est une utilisatrice d'outils numériques développés et contrôlés par les hommes, ainsi ce déséquilibre : "contribue à placer les femmes, utilisatrices quotidiennes d’outils numériques au même titre que les hommes, dans une position de dépendance technique à ces derniers : « Quand on contrôle tous les aspects de la conception et de la mise en œuvre [d’un outil], on en contrôle l’usage » (...)." [1]. Et cette domination technique exercée sur les femmes commence dès le plus jeune âge, en effet : "Le contrôle sur les sciences et les techniques, associé à une certaine position de pouvoir dans la société, est lié dans les sociétés occidentales à une socialisation masculine dont les femmes sont tenues éloignées. Petites, on leur offrira des poupées plutôt que des mécanos ; on les orientera ensuite vers des filières littéraires plutôt que scientifiques, et on valorisera leurs compétences relationnelles davantage que leurs apprentissages techniques." [1]. Il existe donc une "division sociosexuée des savoirs" qui fait que les femmes, même si les formations leur sont ouvertes, doivent faire face à des obstacles, ainsi : "Étudier l’informatique suppose pour une femme de surmonter de nombreux obstacles liés au fait que ce choix entre en contradiction avec les représentations associées à son identité de genre." [1]. Mais cette division sociosexuée inégalitaire pour les femmes dans le domaine de l'informatique à ses contre-exemples qui "confirme[nt] le caractère socialement construit de l’intérêt pour cette discipline.". En effet, en Malaisie au début des années 2000 : "65% des étudiants en informatique étaient des femmes, encadrées par des équipes enseignantes à 70% féminines." [1]. Néamoins les femmes ont toujours été présentes dans l'histoire de l’informatique, et y ont occupé une place centrale notamment pendant la Seconde Guerre mondiale où elles prarticipaient au développement de l'ordinateur ENIAC. C'est à partir du moment où l'informatique est devenue commerciale, et donc lucrative, qu'elle s'est masculinisée selon Isabelle Collet. Depuis les années '90 des mesures qui visent à encourager les vocations féminines en informatique sont mises en place mais elles le sont en renforcant le déséquilibre symbolique selon Isabelle Collet notamment en sur-investissant les figures de la femme qui réussit en informatique : "Le caractère unique et remarquable de ces figures renforce en effet l’idée selon laquelle réussir en tant que femme dans « la tech », c’est être exceptionnelle." [1]. Ainsi, selon Isabelle Collet, pour traiter le problème de la sous-représentation des femmes dans le monde informatique il faut s'attaquer aux mécanismes discriminants, ainsi : "L’obtention d’une égalité de fait dans le domaine informatique (tant en termes d’effectifs globaux que d’accès aux postes à responsabilité et de représentation) est dans cette perspective considérée à la fois comme une fin, et un moyen pour atteindre cette fin. C’est lorsque l’informatique sera à tous égards aussi féminine que masculine que les femmes cesseront d’être confrontées à des obstacles pour s’insérer dans cette filière." [1]. [1] Isabelle Collet, récensé par Camille Girard-Chanudet, "Les Oubliées du numérique", Dygest, https://www.dygest.co/isabelle-collet/les-oubliees-du-numerique
Le reste du mondeL'accès aux outils numériques est un enjeu de pouvoir au sein de nos sociétés. La maitrise de l'informatique et des outils d'information qu'elle permet de mettre en oeuvre est un enjeu démocratique, culturel et économique. Les réseaux sociaux ont boulversé l'accès à l'information et rendu possible la mise en place de mouvements citoyens tels que les gilets jaune, la diffusion de contenus, la participation citoyenne, l'intégration sociale, tout cela fait partie des enjeux de l'inégalité technologique. Mais que dire des inégalités technologiques qui frappent le reste du monde, comme l'Afrique, l'Inde et les pays en développement, pour qui les enjeux de l'inégalité technologique revêtent une autre dimension, celle de la répartition de ressources économiques et pas uniquement la question de l'accès et de la mise en place d'infrastructures informatiques. Ainsi, selon Partha Pratim Sarker : "L’un des points clés de la lutte contre la pauvreté, dans lequel les technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent jouer un rôle important, concerne la capacité de ces technologies de permettre aux pauvres de se faire entendre et d’avoir accès à davantage d’informations et d’options économiques pour améliorer leur existence." [1]. Dans les pays en développement, les politiques sont d'augmenter la disponibilité d'outils informatiques avec des donations d'ordinateurs et le développement de l'accès à Internet, mais pour Partha Pratim Sarker ces politiques : "cadrent bien avec leurs intérêts commerciaux à l’échelle globale" [1], et de nous rappeller les propos de Shahidul Alam : "Lorsque l’information est une forme de pouvoir, le fait d’empêcher les communautés exclues d’accéder à l’information les empêche de surmonter les structures de pouvoir inégalitaires dont elles sont prisonnières. Les gens en place au sein de la société ont intérêt à limiter cet accès, de la même manière que l’intérêt des nations riches est de refuser cet accès pour préserver leur domination." [1]. L'accès aux TIC (Technologies de l'Information et de la Communication) est donc un enjeu pour le développement économique, social et culturel, de pays en développement, car : "cet accès représente indéniablement une chance à saisir pour les communautés pauvres et isolées ; sans lui, les échanges avec le marché ou la société demandent plus de temps, d’énergie et d’argent." [1]. Mais le développement ne doit pas se limiter à l'accès aux TIC. En effet, il faut que le développement des autres infrastructures de communication aient de paire avec le développement des TIC. Or, comme nous l'explique Partha Pratim Sarker : "Sur le sous-continent indien, je vois de nombreuses organisations, actives naguère dans d’autres secteurs du développement, embrasser maintenant la cause de la lutte contre la fracture numérique, tout simplement parce qu’il y a pléthore de fonds disponibles. Ce n’est donc pas l’engagement, ni même la compétence ou l’intérêt, qui les amène à se saisir de la question, mais la disponibilité de ressources financières." [1]. L'aide au développement dans la lutte contre les inégalités technologique semble donc être peu concertée et peu réfléchie dans une vision globale de développement régionale. En effet, un route qui permet l'acheminement des marchandises peut être plus appropriée que deux ou trois donateurs qui se concurrencent pour la distribution d'ordinateurs.
Le problème que Partha Pratim Sarker soulève en matière de développement économique lié au TIC est que les investissements du secteur privé ne se font que dans des projets rentables et qui génèrent des profits. Or : "Si les zones et les communautés les plus démunies sont laissées au bon vouloir des seules forces du marché, jamais les TIC ne seront pour elles des vecteurs d’autonomie et de pouvoir, car les sociétés privées n’autoriseront jamais l’appropriation ni la participation à des solutions conçues pour les communautés les plus pauvres." [1].
Ainsi, Partha Pratim Sarker préconise une approche en terme d'entreprenariat social car : "L’investissement privé ne peut à lui seul garantir un large accès. Là où les possibilités d’accès dépendent de l’infrastructure, il revient aux pouvoirs publics d’ouvrir la voie, avec l’appui d’autres intermédiaires. Des pratiques novatrices peuvent être mises en place, mais seul le gouvernement peut garantir une application à grande échelle." [1].
Le développement économique lié aux TIC passe donc nécessairement par la synergie entre les différents acteurs tant gouvernementaux que de la coopération internationale qui serviraient d'appui au secteur privé, ainsi : "Les principales mesures doivent être prises par les ONG, les gouvernements et d’autres groupes ; le secteur privé pourra intervenir à un stade ultérieur." [1].
[1] Partha Pratim Sarker, "Les inégalités sociales à la racine des inégalités technologiques" Annuaire suisse de politique de développement [En ligne], 22-2 | 2003, mis en ligne le 22 mars 2010, consulté le 06 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/aspd/538
Les inégalités spatialesLes contraintes d'espace jouent un grand rôle dans le déploiement des Technologies de l'Information et de la Communication. Les agglomérations urbaines ne sont pas sur le même pied d'égalité en matière d'accès et d'utilisation des technologies TIC que les zones rurales reculées. Cette observation ne semble pas être très étonnante, néanmoins les implications et la façon dont les entreprises s'adaptent à cette situation varient selon divers critères. Les TIC et leur utilisation posent donc des questions politiques quant aux choix des politiques publiques visant à favoriser le développement territorial des espaces ruraux. Ainsi la nécessité d'usage des TIC par les entreprises peut avoir une influence sur le choix d'implentation des entreprises et sur les opportunités de développement économiques de l'espace dans lequel elles vont s'intégrer. En effet, selon Galliano Danielle et Roux Pascale : "les conditions d’adoption et de diffusion de ces nouvelles technologies pourraient s’avérer cruciales dans la détermination des trajectoires de développement des acteurs industriels locaux et dans la définition des politiques territoriales." [1]. L'adoption et la diffusion des TIC sont influencées par des caractéristiques organisationnelles internes des entreprises, ainsi que leurs différents modes de coordination externes selon Galliano et Roux. Ainsi : "Dans la littérature économique portant sur les déterminants spatiaux de l’adoption et de la diffusion des technologies, l’idée générale est que l’environnement dans lequel la firme est localisée influence sa capacité à innover et notamment sa capacité à adopter de nouvelles technologies." [1]. Galliano Danielle et Roux Pascale nous apprennent que : "Généralement, deux grands types de déterminants sont mis en évidence (Karlsson [1995], Fisher et Johansson [1994]). Il s’agit, d’une part, des facteurs relatifs à l’environnement spatial de la firme et, d’autre part, de ses caractéristiques structurelles et organisationnelles qui exercent une influence sur les comportements d’adoption des tic." [1]. Ainsi, la concentration géographique des entreprises favorise la transmission et déploiement des technologies : "De manière générale, la nature de l’environnement de localisation de la firme pourrait ainsi favoriser la diffusion de nouvelles solutions techniques en facilitant la formation des liens avec des fournisseurs de technologie ainsi qu’avec d’autres acteurs économiques supportant directement ou indirectement le processus de création de connaissances associé (Fisher et Johansson [1994])." [1]. Il existe donc un phénomène d'agglomération des technologiques et de leurs fournisseurs autour des zones de concentration des entreprises clientes. Ce qui crée une inégalité de diffusion entre les zones urbaines et rurales. Mais à ce phénomène s'ajoute également le problème des infrastructures et de leur rentabilité en zone rurale, ainsi : "les déficiences au niveau des infrastructures de télécommunications peuvent être également mises en cause dans l’éventuel retard d’adoption enregistré par les entreprises rurales." [1]. Le manque de diffusion et donc d'usage fait que les zones rurales manquent de personnels qualifiés à la fois parce que les entreprises sont moins utilisatrices et à la fois les fournisseurs y sont moins présents, ainsi : "la faible densité ne favorise pas la variété des compétences présentes et, par là, la mise en œuvre de ces technologies dans l’entreprise. Une des principales difficultés rencontrées par ces firmes est liée au manque de qualification de la main-d’œuvre présente en zone rurale" [1]. Ainsi en France, concerant l'adoption des TIC, par exemple : "L’observation des comportements d’adoption des firmes industrielles montre en effet que les firmes rurales adoptent globalement moins en nombre d’entreprises mais aussi qu’elles ont une intensité d’adoption plus faible que les firmes urbaines." [1] et d'ajouter que : "L’effet négatif d’une localisation en zone rurale se maintient en outre quel que soit le type de technologie considéré (intranet, extranet ou Internet). Il est particulièrement marqué pour les technologies internet qui sont très sensibles aux effets urbains." [1]. Comme nous l'explique Galliano Danielle et Roux Pascale il existe bien une inégalité de diffusion et d'usage des TIC entre les zones urbaines et rurales. Cette différence est liée à plusieurs facteurs qui ont des effets en cascade. Ainsi le déficit d'usage entraine le déficit de personnel qualifié et de fournisseurs à proximité dans un environnement peut attrayant pour les investissements d'infrastructures.
[1] Galliano Danielle, Roux Pascale, « Les inégalités spatiales dans l'usage des tic. Le cas des firmes industrielles françaises », Revue économique, 2006/6 (Vol. 57), p. 1449-1475. DOI : 10.3917/reco.576.1449. URL : https://www.cairn.info/revue-economique-2006-6-page-1449.htm
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